Monteverdi jeune

Monteverdi à Mantoue en 1597, anonyme

On est loin de tout savoir sur la vie de Claudio Monteverdi. Beaucoup de ses œuvres ont été perdues. Et pourtant son génie et un travail incessant ont ouvert les portes de nouvelles formes d’expression, dont l’opéra bien sûr.

Né à Crémone en 1567, il apprend la viole et s’imprègne de la tradition polyphonique. Ses premières œuvres (petits cantiques sacrés et Canzonette puis madrigaux) sont publiées dès ses 17 ans, mais c’est comme chanteur et joueur de viole qu’il est recruté à Mantoue, à 23 ans. Ce duché rayonne sur toute l’Europe, à l’égal de Florence et Ferrare. En cette fin du XVI°, le duc Vincent Gonzague habite un palais ducal décoré par Mantegna, le Pérugin, le Titien, le Corrège et bien d’autres, où il vit dans le luxe et la prodigalité. Rien n’est trop beau pour lui. Les fêtes se succèdent et réclament une production musicale toujours renouvelée. Le jeune Monteverdi se frotte à ce que l’époque a de meilleur comme madrigalistes, violonistes (un art naissant) et chanteurs. Il doit accompagner le duc quand il va à la guerre ou prendre les eaux.

Alors qu’il avait publié 6 recueils de pièces vocales avant ses 25 ans, voici qu’il met onze ans pour publier son 4° livre qui marque un changement profond, fruit d’années de maturation. Sa justesse d’expression est liée à une règle nouvelle que l’on peut résumer ainsi : la forme doit être déterminée par le sujet et par le sentiment. Plutôt que de rechercher, comme l’ont fait les époques antérieures, à atteindre une beauté idéale, le baroque naissant s’intéresse à ce qui dérange : affections, émotions, souffrance.

La musique est devenue la « servante de la poésie ».

Quoi de plus éclairant que de lire les critiques acerbes de son ennemi le plus célèbre, l’Artusi. Pour ce chanoine de Bologne, bon musicien attaché à la tradition, « les nouvelles règles (…) font que la musique moderne est désagréable à l’oreille ». Comment accepter des compositions qui ont l’air de faire des fautes d’harmonie exprès, qui sont « intolérables à l’ouïe et la blessent au lieu de la charmer sans tenir aucun compte des saints principes ayant trait à la mesure et au but de la musique » ? Tout est là. Le but de la musique a changé. Elle n’est plus la recherche d’une harmonie à l’image des sphères éternelles, mais d’une harmonie servante d’un discours et des émotions humaines.

Monteverdi est maintenant prêt à répondre aux besoins du duc de Mantoue qui veut surpasser l’Euridice de Peri, donnée à Florence en 1600 pour le mariage de Marie de Médicis avec Henri IV. L’Orfeo est alors composé comme un galop d’essai. Par ses nouveautés, cette œuvre fait une impression extraordinaire à un public restreint d’amateurs éclairés : le chant à voix seule, le premier duo vocal de l’histoire de la musique (entre Apollon et cette incarnation du pouvoir magique de la musique qu’est Orphée), le mélange de tous les langages musicaux, des plus traditionnels aux plus novateurs, et le recitar cantando (déclamer en chantant). Il entre alors dans une intense période de production marquée par la fatigue (le duc demande beaucoup et paye mal) et le deuil (la mort de sa femme). Malgré ces cruels tourments, le duc qui prépare le mariage de son fils, rappelle Monteverdi. Celui-ci compose l’Arianna en quelques semaines. Le Lamento d’Arianna, cri de douleur et d’abandon, est la seule page de cette œuvre qui soit parvenue jusqu’à nous, mais elle fait plus pour la renommée de Monteverdi que tout le reste de son œuvre. Suivent des madrigaux pleins de douleur, et un retour vers la musique sacrée avec les Vêpres, toutes aussi riches en émotions que ses œuvres profanes.

PortraitVieux

Monteverdi  par Bernardo Strozzi vers 1630

De moins en moins heureux à Mantoue, Monteverdi quitte le duché en 1613 pour la république de Venise où il résidera 30 ans, jusqu’à sa mort. Il y trouvera enfin la sécurité, l’aisance, la respectabilité et la popularité, car le spectacle musical sort des demeures nobles pour s’ouvrir au public. Le Tasse lui offre des textes pleins d’« affections de l’âme » qui vont s’incarner dans sa musique. Peu après la peste qui emporte en quelques mois le tiers de la population vénitienne, dont son fils Francesco, Monteverdi est ordonné prêtre, en 1632. Le « révérend don Claudio Monteverdi » apparait maintenant en soutane et collet blanc, comme sur le célèbre tableau de Strozzi.

Il compose des œuvres pleines de virtuosité, de combats (amoureux ou guerriers), d’émotion pure comme dans le Lamento de la Nympha ou de ferveur sacrée dans la Selva Morale et Spirituale, riche « forêt musicale et spirituelle » de pièces musicales composées pour la basilique San Marco dont il dirige la musique pendant 30 ans. Maîtrise, liberté, Monteverdi est au sommet de son art pour faire vibrer l’émotion baroque. Les funérailles de cet « Oracolo della musica » ont un faste presque royal, Venise et l’Europe entière le pleurent.

(Cette biographie doit tout à l’excellent petit livre de Philippe Beaussant, « Claudio Monteverdi » Fayard)